Le
siècle classique français reprit à son compte le précepte des anciens
Grecs selon lequel le théâtre devait « purger les passions »,
c’est-à-dire opérer une catharsis (purification) dans l’esprit du
spectateur. Corneille acceptait cette idée mais il voulut plutôt
transformer le public par la valeur d’exemple que peuvent incarner des
pièces comme Le Cid ou Polyeucte. Mais, de même qu’il a su
casser brillamment l’uniformité de la récitation en introduisant des
variations comme les stances (formes de monologues poétiques), il n’a
pas écrit un théâtre qui pourrait se réduire seulement à cette fonction
d’exemplarité, au culte du héros, à l’école du courage et de la volonté.
On connaît surtout les grands personnages masculins de ses pièces,
mais il a également brossé d’amples et saisissants personnages féminins.
D’ailleurs, la pièce qu’il préférait parmi ses créations – et que la
postérité n’a pas placée au premier plan – repose sur la personnalité
d’une femme. Il s’agit de Rodogune (1647), dont l’héroïne,
« princesse des Parthes », est âpre et ambitieuse, très différente des
mères et des filles fort touchantes qui interviennent dans bien d’autres
de ses pièces. Mais c’est néanmoins la représentation passionnée d’un
destin de femme. Lui-même donna, sans modestie, les raisons de son
attachement à cette œuvre : « Elle a tout ensemble la beauté du sujet,
la nouveauté des fictions, la force des vers, la facilité de
l’expression, la solidité du raisonnement, la chaleur des passions, les
tendresses de l’amour et de l’amitié : et cet heureux assemblage est
ménagé de sorte qu’elle s’élève d’acte en acte » (Examen, 1660).
Passion et tendresse : les héroïnes cornéliennes
Tout Corneille est dans cette phrase : le théâtre
doit « raisonner » mais être aussi empreint de tendresse. Les mises en
scène modernes de ses pièces ont fréquemment mis en évidence une
sensibilité et une sensualité méconnues. Écrivain affectionnant le
discours et la leçon politique, avocat dans l’écriture comme il l’était à
la ville, Corneille est aussi à sa façon, qui est plus secrète que
celle de Racine, un écrivain du sentiment.
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