Le théâtre de Corneille est beaucoup plus varié qu’on ne le croit. Lorsqu’il publia sa comédie le Menteur,
il écrivit dans sa préface : « Je vous présente une pièce de théâtre
d’un style si éloigné de ma dernière, qu’on aura de la peine à croire
qu’elles soient parties de la même main, dans le même hiver. » Il
venait, en effet, de faire jouer une tragédie, La Mort de Pompée.
Est en un point si haut que chacun l’idolâtre
Et ce que votre temps voyait avec mépris
Est aujourd’hui l’amour de tous les bons esprits.
Corneille n’aimait pas les règles et les qualifications trop strictes. Il qualifia Le Cid
de « tragi-comédie » avant de le rebaptiser « tragédie ». Et il
pratiqua la pure « comédie » et la « comédie héroïque » – genre noble,
qui ne prétend pas au seul divertissement. Ce qui importe surtout est de
noter que l’écrivain commença par des comédies et qu’à partir du Cid, il cessa d’en écrire, à une exception près.
La majorité de ses trente-deux pièces relève du genre
sérieux. On raconte que Corneille suivit le conseil d’un ami lui disant
que la gloire était liée au traitement des sujets graves. Une autre
raison tient aussi dans la maturation du poète : au fil des années, il
eut une vision de plus en plus noire et de plus en plus chrétienne de la
vie et de l’Histoire. Il fut pourtant à ses débuts un remarquable
auteur de comédies.
Les comédies de jeunesse
Corneille jeune fut le peintre de la jeunesse. Mélite ou les Fausses Lettres (1625), sa première pièce, la Galerie du palais ou l’Amie rivale (1633) et la Place royale ou l’Ami extravagant (1634) représentent de jeunes amoureux qui se quittent, se retrouvent, changent de partenaire, tendent des pièges pour éprouver l'autre ou mettre fin à leur relation… Il y a là une vivacité, une insolence, une liberté, une forme d’immoralité qui surprennent chez un auteur dont l’œuvre ultérieure sera de plus en plus celle d’un rigoriste observant le jeu social et politique.
En outre, l’exercice de la comédie permet à Corneille
de parler de son époque, alors que la tragédie est, par principe,
transposée dans un univers culturel défini, lié au passé. Il y a donc un
premier Corneille tourné vers la joie de vivre et d’aimer.
Une comédie de l’illusion
Parmi ses comédies, l’Illusion comique (1636) est la plus originale. Elle garde ce climat de jeunesse, avec quelques personnages aux amours brouillonnes, mais elle est surtout marquante par sa construction et par son éloge du théâtre. Sa construction imbrique le plan de la réalité et le plan du spectacle, car le personnage du père, qui cherche à connaître le sort de son fils disparu, croit voir une action réelle et suit en réalité, guidé par un magicien, les répétitions d’une pièce où joue son fils. Lorsque ce fils meurt sous ses yeux, il croit à une mort réelle, avant de comprendre qu’il s’agit d’une simulation.
« Illusion comique » veut dire « illusion théâtrale,
jouée par des comédiens ». Influencé par le théâtre espagnol (qui
restera l’une de ses grandes références), Corneille crée en France une
dramaturgie du jeu de miroirs, qui est une préfiguration du « théâtre
dans le théâtre » – comme l’illustrera beaucoup plus tard Pirandello.
Cet art du vrai et du faux est aussi une célébration de l’art
dramatique. En un temps où la profession de comédien est socialement
très risquée (elle est notamment condamnée par l’Église, qui excommunie
les acteurs) et où les pièces ont de plus en plus de succès, l’auteur
proclame le triomphe moderne du théâtre, à travers les propos du
magicien Alcandre :
À présent le théâtre
Est en un point si haut que chacun l’idolâtre
Et ce que votre temps voyait avec mépris
Est aujourd’hui l’amour de tous les bons esprits.
No hay comentarios:
Publicar un comentario